[Analyse] Expérimentation d’une nouvelle forme de participation citoyenne : les membres du comité de suivi racontent leur expérience

Publication le mar 12/07/2022.

Les citoyens membres du comité de suivi au Parlement européen de Strasbourg
© Les citoyens membres du comité de suivi au Parlement européen de Strasbourg

Le 9 mai 2022 à Strasbourg, les propositions issues de la conférence sur l’avenir de l’Europe ont été officiellement remises par les citoyens, aux présidents des trois institutions européennes ; Madame Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, Madame Roberta Metsola, présidente du Parlement européen et Monsieur Emmanuel Macron, président du Conseil.

L’enjeu de cette conférence, qui a duré plus d’un an, était de donner la parole aux citoyens européens afin qu'ils puissent s’exprimer sur le futur de l’Union.

En France, les citoyens ont pu prendre part au débat grâce à un dispositif piloté par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), en partenariat avec le ministère des relations avec le Parlement et de la Participation citoyenne. Les citoyens ont pu s’exprimer à travers une consultation en ligne destinée aux jeunes « Parole aux jeunes », 18 conférences régionales dont 5 dans les outre mers avec près de 800 participants tirés au sort et enfin une conférence nationale. Au niveau européen, quatre panels de citoyens représentants de tous les Etats membres ont travaillé pendant plusieurs mois. Une assemblée plénière de la conférence a été mise en place pour débattre des recommandations formulées par les panels de citoyens nationaux et européens.

Le Centre interministériel de la participation citoyenne (CIPC) de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a accompagné le volet national de la conférence sur l’avenir de l’Europe, sous la responsabilité des deux ministres.

A l’issue du débat conduit en France, 15 citoyens ont été tirés au sort pour constituer le comité de suivi.

Conférence sur l'avenir de l'Europe à Strasbourg
Evènement de clôture de la Conférence sur l'avenir de l'Europe au Parlement européen de Strasbourg

Le comité de suivi, une nouvelle manière d’associer les citoyens jusqu’à la décision

Si les démarches participatives sont souvent perçues comme intéressantes et bénéfiques par les participants au moment où ils contribuent, les citoyens expriment presque toujours un doute, voire une inquiétude, quant à l’usage qui sera fait de leurs travaux. « L’après concertation » est une phase mal connue du grand public.

Que se passe-t-il après avoir débattu ? Que deviennent les propositions ? Ce sont les questions posées par les participants français.

Pour répondre à ce questionnement qui se reproduit dans toutes les démarches, le CIPC a conçu une méthode d’association des citoyens sur la phase aval d’une concertation : le comité de suivi citoyen.

Cette expérience est le résultat des travaux menés par le CIPC sur le « devoir de suite ».

Le devoir de suite est avant tout un engagement ; une forme de contrat moral qui lie l’organisateur d’une démarche de participation avec les citoyens. Cette phase débute à la fin du débat, lorsque les résultats sont remis au décideur.

S’engager pour le devoir de suite, c’est ouvrir un dialogue sincère sur l’usage fait des résultats d’une concertation et sur la manière dont ceux-ci viennent nourrir une politique publique ou une décision. C’est un temps où le décideur et les citoyens partagent la complexité de la décision.

C’est aussi un engagement de l’administration à rendre transparentes et lisibles les actions mises en œuvre et de rendre compte de la manière dont la participation citoyenne vient transformer les pratiques.

« La reddition de comptes, ou le devoir de suite, est une condition essentielle de la confiance envers les démarches de concertation. Pour permettre aux décideurs et aux administrations d’aborder cette phase, nous avons construit une offre de service dédiée au devoir de suite.

Le bilan de cette première expérience est très encourageant et ouvre de nouvelles perspectives pour associer les citoyens jusqu’à la décision. » Typhanie Scognamiglio, responsable du Centre Interministériel de la Participation Citoyenne.

    L’engagement de l’Etat pour le devoir de suite c'est :
  • Un site internet qui permet de rendre publiques les suites données à toute démarche menée volontairement par l’Etat : participation-citoyenne.gouv.fr

  • La mise en place de comité de suivi citoyen afin de donner à voir, en toute transparence, ce qui est fait de leurs travaux.

Cette première expérimentation pour le volet français de la conférence sur l’avenir de l’Europe a été pilotée dans le cadre d’un partenariat avec la référente participation citoyenne du MEAE.

La mission des membres du comité de suivi

Le comité de suivi a été mis en place pour observer et témoigner des suites données au volet national de la conférence sur l’avenir de l’Europe. Il était composé de 15 personnes. Pour le former, 14 citoyens ont été tirés au sort parmi les 58 volontaires de la conférence nationale. Une liste de suppléants a également été constituée parmi ces volontaires. Un jeune a été tiré au sort parmi les participants au dispositif « Parole aux jeunes ».

Leurs missions étaient de :

  • Participer aux assemblées plénières de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en tant que représentants français ;
  • Valoriser les propositions françaises au sein des travaux de l’assemblée plénière ;
  • Mesurer comment les propositions françaises ont pu s’intégrer dans les discussions en plénière et dans les groupes de travail ;
  • Rédiger un rapport sur l’expérience du comité de suivi citoyen pour témoigner publiquement de l’après-débat.

« Notre engagement au sein du comité de suivi citoyen a été un moyen de contribuer à l’écriture de notre propre avenir de citoyen européen. Nous avons pu nous exprimer librement, nous avons été écoutés et traités d’égal à égal par les politiques français et européens. Notre devise en trois mots serait :

  • LIBERTÉ d’expression totale ;
  • ÉGALITÉ de dialogue absolue entre citoyens et politiques ;
  • FRATERNITÉ au travers d’un « Erasmus politique » né à force de neuf mois de travail passionnés entre citoyens. » Une citoyenne, membre du comité de suivi
Comité de suivi Europe
Des citoyens du comité de suivi avec l'équipe du CIPC et du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères à Strasbourg

 

Les enseignements à retenir

Les membres du comité de suivi ont pris leur rôle de représentant très à cœur avec le souci permanent de porter la voix des participants français, sans trahir leurs souhaits d’Europe. Pendant des mois, ils ont préparé leurs interventions dans les plénières européennes et les groupes de travail, ils se sont rendus à Strasbourg et ont défendu les propositions françaises. Au-delà de ce rôle de représentant, ils ont dû apprivoiser l’art de la négociation à l’échelle européenne.

« Nous nous sommes rendus compte que l'Europe demande beaucoup de diplomatie. La démocratie n'est pas simple à décortiquer. Vue de loin, l'UE ressemble à une grosse tortue où il ne se passe jamais rien et au final, en faisant partie du processus, nous nous rendons compte que c'est en fait une suite d'obstacles à lever. » Une citoyenne, membre du comité de suivi

Cette « aventure », pour reprendre leur expression, a permis aux citoyens d’en apprendre davantage sur le fonctionnement des institutions et de mesurer toutes les difficultés liées à un rôle politique devant défendre le point de vue d’un groupe.

« Le fait de changer de représentant pour chaque plénière a permis une grande représentativité, en revanche cela perdait les membres des panels européens car ils ne parvenaient pas à nous identifier. Nous voulions tous aller en plénière. » Une citoyenne, membre du comité de suivi

Pour des questions de neutralité et d’indépendance du comité de suivi, le MEAE et le CIPC ont fait le choix de laisser le groupe organiser son travail et ses prises de parole. L’expérience nous apprend qu’à l’avenir, la présence d’une personne en charge de l’animation de leurs séances de travail sera à envisager afin de les appuyer sur la dynamique de groupe.

« Le comité a travaillé en totale autonomie et a mis en place ses propres modalités de travail. Néanmoins, pour améliorer la vie du groupe, une personne tierce, garante des débats, devrait être désignée pour organiser, modérer les échanges et faire avancer les travaux collectifs dans les meilleures conditions, tout en veillant à tirer tout le monde vers le haut. »  Une citoyenne, membre du comité de suivi ;

Enfin, l’association des citoyens sur du temps long invite à questionner le statut de ces participants, qui ne sont pas des professionnels de la politique ni de l’engagement associatif, syndical ou autre.

« Le niveau d’investissement demandé pour ce type d’exercice et la compatibilité avec nos vies professionnelles et personnelles pouvaient générer de la frustration et du stress lorsque nous n’avions pas les moyens de nous impliquer. A l’avenir, une réflexion doit être portée sur le statut du citoyen convoqué à un exercice participatif : donner les moyens de pouvoir s’investir afin que l’implication ne soit pas conditionnée à des concessions personnelles, matérielles et professionnelles ; créer un statut citoyen avec des détachements de congés qui ne sont pas déduits de son quota y compris pour les ultramarins. » Propos partagés lors de l’atelier d’écriture du rapport par les citoyens.

Le rapport du comité de suivi

Le rapport a été rédigé par les membres du comité de suivi eux-mêmes, lors de deux ateliers d’écriture à Strasbourg.

Au fil de ce document, les citoyens nous livrent ainsi :

  • Une évaluation de la prise en compte des propositions françaises au regard de celles proposées par les panels européens ;
  • Un rapport d’étonnement pour parler de leur expérience en tant que représentants des citoyens français.
  • Les enseignements tirés de cette aventure et les pistes d’améliorations pour les démarches à venir
Les citoyens lors de l’écriture du rapport à l’hôtel préfectoral de Strasbourg
Les citoyens lors de l’écriture du rapport à l’hôtel préfectoral de Strasbourg

 

Conférence sur l’avenir de l’Europe : les suites annoncées

Lors de l’évènement de clôture de la conférence sur l’avenir de l’Europe le 9 mai 2022,  les présidents des institutions européennes ont précisé le calendrier des prochains rendez-vous avec les citoyens pour leur rendre compte des effets de cet exercice inédit.

  • Ursula Van der Leyen, présidente de la Commission européenne a annoncé :

« Pour assurer un suivi rapide, j'annoncerai les premières nouvelles propositions en réponse à votre rapport dans mon discours sur l'état de l'Union en septembre 2022.»

  • Roberta Metsola, présidente du Parlement européen a mentionné la résolution votée par le Parlement européen le 4 mai 2022 :

Le Parlement « reconnaît que les conclusions de la conférence nécessitent des modifications du traité, notamment en ce qui concerne la simplification de l’architecture institutionnelle de l’Union, le renforcement de l’obligation de rendre des comptes et de la transparence dans le processus décisionnel et une nouvelle réflexion sur les compétences de l’Union. » […]

Le Parlement « se tient prêt à jouer son rôle et à assurer un suivi approprié des résultats de la conférence ; appelle dès lors de ses vœux la convocation d’une convention, par le déclenchement de la procédure de révision des traités prévue à l’article 48 du traité sur l’Union européenne, et invite sa commission des affaires constitutionnelles à engager la procédure nécessaire en conséquence

  • Emmanuel Macron, Président de la République et Président du conseil de l’Union Européenne a déclaré :

« Je veillerai moi aussi à ce que cet exercice ne reste pas un exercice de style ou un exemple de méthode, simplement, mais qu’il débouche bel et bien sur des travaux pratiques, des évolutions fortes et concrètes et que les citoyens d’Europe puissent en cueillir les fruits ».

Une évaluation technique préliminaire des propositions de la conférence a été publiée le 10 juin. Les ministres des affaires étrangères de l’UE ont tenu un premier débat sur le fond des propositions le 21 juin.

Les suites seront publiées au fur et mesure ici .

Le rapport du comité de suivi

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Le volet national de la conférence sur l'avenir de l'Europe

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